La latéralité est définie comme une spécialisation progressive de chacun des hémisphères du cerveau dans leurs fonctions respectives. C’est une asymétrie entre le côté droit et le côté gauche du cerveau qui dépend de comment les informations sensorielles seront traitées en fonction de leur valeur émotionnelle (1). C’est la latéralité sensorielle.
On la distingue de la latéralité motrice, dont l'exemple le plus connu est chez l’humain qui se décrit a une main de préférence : droitier ou gaucher.
Au sein du règne animal, nous pouvons également observer des latéralités spécifiques aux différentes espèces mais aussi aux différents individus. Nous allons on voir quelque exemple ici.
Mais déjà, un peu de neurophysiologie.
On appelle hémisphères cérébraux les parties droite et gauche du cerveau. Ce sont deux structures presque symétriques reliées entre elles par des fibres nerveuses.
La médecine a mis en avant un phénomène très intéressant pour notre sujet : la décussation (ou croisement en X) des voies nerveuses. Cela signifie que chaque hémisphère reçoit des informations sensorielles et commande les réponses motrices de la moitié opposée du corps.
Ainsi, le mouvement de la partie droite du corps se fait par sollicitation de l’hémisphère gauche du cerveau, et inversement pour la partie gauche de corps.
Source : https://www.anatomie-humaine.com/La-Moelle-epiniere-3-Anatomie.html
En plus de la motricité, des études ont également émis l’hypothèse que les émotions étaient traitées de façon asymétrique : l’hémisphère droit traiterait les émotions négatives, et le gauche les émotions positives. On trouve aujourd’hui des résultats contradictoires mais l’hypothèse est intéressante. Je vous invite à observer :
- De quel côté mon cheval aborde un stimulus effrayant ?
- De quel côté mon chien joueur ou agressif aborde-t-il son congénère ?
Si une récurrence de latéralité est observée, nous pourrons pousser la réflexion en se demandant s’il est intéressant (ou non) d’aborder un animal peureux du côté droit plutôt que du côté gauche par exemple. On sait aujourd’hui que les chevaux et les bovins observe préférentiellement les stimuli négatifs avec l’œil gauche (2 ; 3). Mais on ne sait pas si les aborder à droite réduit le facteur de stress.
On a commencé d’admettre que la latéralité ne concernait pas uniquement l’homme assez récemment. Des études chez la poule ou d’autres espèces d’oiseaux sauvages ont montré qu’ils étaient capables de gérer deux tâches utilisant un hémisphère différent (manger et surveiller le danger par exemple), mais également que selon l’espèce, l’oiseau utilisait l’œil droit ou l’œil gauche pour surveiller son environnement (4). On s’est ensuite rendue compte que certains oiseaux privilégiaient la patte droite comme appui au sol, ou que les rapaces avaient une préférence de patte dans la préhension de leur nourriture.
Chez le chien qui est notre sujet aujourd’hui, on observe trois différents types de latéralité (5) :
- Latéralité motrice : un côté du corps préférentiel pour le mouvement
- Latéralité sensorielle : un côté préférentiel lors de l’utilisation d’un organe sensoriel symétrique (oreilles, yeux, narines)
- Latéralité structurelle : apparition de structure asymétrique sur les côtés droit et gauche du corps
La latéralité motrice s’observe lors de comportements spontanés :
- Lever de patte pour uriner
- Côté sur lequel le chien se couche
- Galop à gauche ou à droit préférentiellement
- Prise d’appui sur le membre antérieur droit ou gauche pour démarrer sa foulée, descendre un escalier (first-stepping)
- Utilisation d’une patte pour retirer quelque chose sur son visage
De façon plus surprenante, le mouvement de queue a aussi été observé comme étant asymétrique selon les stimuli. Comme il s’agit d’un des outils corporels principal de communication chez le chien, ils sont capables de repérer ces différences d’oscillations. Un comportement d’approche induit une oscillation de la queue plutôt vers la droite, et vers la gauche pour un comportement de retrait (apaisement, fuite) (6).
Voici encore une nouvelle invitation à observer votre chien pour ouvrir la discussion sur ces études !
La latéralité sensorielle se présente comme chez les espèces citées plus haut. L’hémisphère droit du cerveau (donc l’œil gauche) est impliqué dans le traitement des informations visuelles ayant une valeur émotionnelle négative (7). Les informations auditives stressantes sont également traitées avec la partie droite du cerveau.
La latéralité structurelle est surtout décrite chez le chien au niveau de l’implantation du pelage (épis). En ostéopathie, nous considérons que la manifestation d'épis asymétriques ou évolutifs peuvent être représentatifs d’une évolution ou d’un trouble plus profond. Le derme se manifestant souvent pour exprimer des désordres au niveau des tissus conjonctifs plus profonds, du système circulatoire, ou encore du système digestif. Mais je ne sais pas ce que dit la science au sujet de la concordance entre latéralité et implantation asymétrique des poils.
Pour résumer ce que nous venons de dire précédemment, la latéralité du chien se traduit par des préférences perceptives ou motrices droit ou gauche pour appréhender son environnement et pour agir.
Un calcul a été publié pour mesurer le degré de latéralité des chiens (8):
LI = (R-L/R+L)*100
R = le nombre de fois où la patte droite (right) a été utilisée.
L = le nombre de fois où la patte gauche (left) a été utilisée.
Une valeur positive indique un chien à prédominance droitière. Il faut noter que l'importance dans ce résultat est surtout le degré de la latéralité. C'est-à-dire l'intensité avec laquelle le chien s'exprimera davantage comme droitier ou gaucher. Si les valeurs obtenues sont faibles ou nulles, il est possible de conclure que le chien est ambidextre.
Latéralité et expression corporel
Dans sa thèse pour évaluer les contraintes du port de harnais de canicross (9), le DV A. DESSETZ met en avant que les chiens ayant participer à l’étude exercent moins de pression dans le harnais sur leur épaule gauche que sur leur droite. L’hypothèse est émise que les chiens seraient droitiers, concentrant ainsi l’engagement dans le harnais sur son antérieur droit en limitant la pression exercée par son épaule gauche.
Cette donnée nous fait poser de réels questionnements sur la prise en compte de l'asymétrie motrice du chien et son confort dans l'espace.
On peut émettre à notre tour l'hypothèse qu'un animal droitier ne développera pas la même masse musculaire et ne s'assouplira pas de la même façon qu'un animal à prédominance gauchère.
Ces asymétries ne seraient donc pas forcément synonymes de déséquilibre ou bien de compensations antalgiques mais simplement de la conformation propre à l'animal pris en charge.
Chez les sportifs, connaître la préférence de latéralité peut être un réel atout pour comprendre pourquoi le cheval éprouve des difficultés à faire des virages serrés à main droite, à se réceptionner au galop à gauche, ou encore pourquoi un chien de traîneau est inconfortable du côté droit de la ligne de trait, ou pourquoi son harnais le marque davantage autour de son articulation scapulo-humérale droite.
Pour conclure, cette dimension paraît nouvelle et peu développée, mais pourtant essentielle dans l'expression émotionnelle et corporelle du chien. C'est donc à notre tour de cumuler un maximum d'observation, pour les échanger et enrichir notre connaissance de l'animal pour améliorer sa compréhension et sa prise en charge.
Sources:
1. - Wikipedia, Décussation, dernière modification 30 octobre 2024, https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cussation.
2. - ROBINS A., PHILLIPS C.: Lateralised visual processing in domestic cattle herds responding to novel and familiar stimuli. Laterality Asymmetries Body Brain Cogn., 2009, 15, 514‑534.
3. - DE BOYER DES ROCHES A., RICHARD-YRIS M.-A., HENRY S., EZZAOUÏA M., HAUSBERGER M.: Laterality and emotions: Visual laterality in the domestic horse (Equus caballus) differs with objects’ emotional value. Physiol. Behav., 2008, 94, 487‑490.
4. - FRANKLIN III W.E., LIMA S.L.: Laterality in avian vigilance: do sparrows have a favourite eye? Anim. Behav., 2001, 62, 879‑885.
5. – PIACENZA T. : Etude expérimentale sur la relation entre la latéralité motrice et la personnalité, chezle chien (Canis familiaris), médecine vétérinaire et santé animale, 2014. dumas-04549126
6. - QUARANTA A., SINISCALCHI M., VALLORTIGARA G.: Asymmetric tail-wagging responses by dogs to different emotive stimuli. Curr. Biol., 2007, 17, R199‑R201.
7. - SINISCALCHI M., SASSO R., PEPE A.M., VALLORTIGARA G., QUARANTA A.: Dogs turn left to emotional stimuli. Behav. Brain Res., 2010, 208, 516‑521.
8. – GAUNET F. : Les comportements latéralisés du chien : quelle importance pour un chien d'être droitier ou gaucher ?, Université de Provence, CNRS, Marseille.
9. – DESSETZ A. : Construction d’un protocole expérimental en vue d’évaluer les contraintes du port de harnais de canicross dans la course du chien, Thèse pour l’obtention du diplôme DV, Oniris, Nantes, 2023